Le 1er juin 2016 avait lieu la 13e rencontre de la table de négociation en vue du renouvellement de notre convention collective, qui, je le rappelle, est échue depuis le 30 avril 2015, soit un peu plus d’un an.
L’équipe de négociation syndicale était enthousiaste à l’idée de tenir cette rencontre puisque le 12 mai 2016, l’équipe patronale nous avait annoncé un « retour global » sur lesdemandes. Je me doutais bien que les échelles salariales ne seraient pas abordées de sitôt, mais j’avais confiance que nous allions recevoir des propositions intéressantes qui nous permettraient d’envisager l’opérationnalisation des demandes non salariales (soit 109 des 112 éléments contenus dans le cahier) pour qu’on puisse améliorer les conditions d’exercice de la fonction professorale et poursuivre le développement de notre institution.
Je rappelle que les travaux qui ont conduit à la constitution du cahier de demandes avaient certes pour objectif d’assurer des conditions de travail adéquates, toutefois ces dernières devaient avant tout se concevoir comme les bases du développement d’une université en région qui évolue dans un contexte de pénurie de ressources humaines. Le mandat qu’a confié l’assemblée générale au comité de négociation se résumait à ceci : jeter les bases d’un soutien adéquat aux professeures et professeurs, affirmer les droits individuels (la liberté académique notamment) et assurer la reconnaissance de la représentation collective. Le mandat sous-tend l’idée que la convention collective d’un syndicat de professeures et professeurs dans le réseau de l’UQ constitue bien davantage qu’une énumération de conditions de travail : la convention collective est une clé essentielle de la consolidation des activités d’enseignement et de recherche de l’UQO – à Gatineau et à Saint-Jérôme – et de la poursuite de leur développement. Bref, la convention collective est un instrument fondamental de la planification de notre institution, que cette planification soit «stratégique» ou pas….
Signalons que l’équipe de négociation patronale est constituée de porte-paroles qui sont étrangers à la fonction professorale et qui de surcroit, ne sont pas du tout rompus aux principes fondateurs de l’Université (collégialité, bicaméralité, liberté académique, autonomie universitaire) et à la cogestion qui caractérise les constituantes du réseau de l’Université du Québec. Dès la première rencontre (20 novembre 2015), le comité de négociation syndical avait compris que le défi était de taille, mais puisqu’il compte d’excellents pédagogues (!), c’est avec ardeur et beaucoup de bonne volonté que nous avons expliqué – en long et en large et plus d’une fois dans certains cas -, chacun des éléments contenus dans le cahier de demandes et les intentions qui les sous-tendent. Nous avions tenu 12 rencontres entre le 20 novembre 2015 et le 12 mai 2016. Les porte-paroles patronaux semblaient vouloir comprendre, le climat entre les parties était respectueux et les communications étaient ouvertes. Ainsi, le 1er juin, il était permis d’espérer un « retour global » qui soit à la hauteur des aspirations des professeures et professeurs, et ce, dans l’intérêt de l’institution.
Le 1er juin 2016, la séance de négociation s’amorce sur un retour sur l’élément 21 de notre cahier de demandes : « Rendre l’exigence de l’obtention du doctorat obligatoire aux fins de la permanence seulement et considérer que cette exigence est remplie lorsque la thèse est soutenue. » Rappelons que selon la convention collective 2010-2015, le doctorat doit être obtenu dans un délai de 2 ans (ou moins). Cette exigence qui a été introduite dans la dernière convention constituait un recul majeur par rapport aux conventions antérieures ; l’exigence s’avère de plus excessive en comparaison des attentes qui existent dans d’autres constituantes du réseau de l’Université du Québec. Depuis 2013, l’exigence a d’ailleurs été revue et corrigée par des lettres d’ententes visant à prolonger (généralement d’un an) les contrats de travail des professeures et professeurs doctorants.
Nous avons été consternés d’entendre l’équipe patronale nous dire que pour obtenir l’élément 21, il fallait engager le SPUQO, par écrit, à ne plus jamais demander de convenir de lettres d’entente pour prolonger le contrat de travail d’une professeure, d’un professeur doctorant, pour quelque raison que ce soit. Ainsi, par exemple, un professeur qui doit soutenir sa thèse, disons le 15 mars, à quelques semaines de la fin de son deuxième contrat (30 avril), qui apprend que sa directrice de recherche est tombée malade la veille de la soutenance et que sa soutenance est reportée au 3 mai 2017, verra son lien d’emploi avec l’UQO rompu, 4 ans après être entré en fonction et malgré l’investissement que représente l’embauche d’un professeur doctorant pour notre institution (recrutement, dégagements d’intégration, etc.).
L’équipe patronale insiste : si on accepte la proposition, la clause ne souffrira d’aucune exception.
À ce qui précède s’ajoute l’idée que l’exigence du doctorat ne serait considérée comme « remplie » que lorsqu’un document émanant des services de l’administration universitaire qui décerne le diplôme sera transmis au décanat de la gestion académique. Il nous faut espérer que les processus administratifs des autres universités soient plus efficaces que ceux de l’UQO…
Dans l’ensemble, la proposition patronale sur l’élément 21 s’accompagne de commentaires tels que : « il fallait y penser avant de postuler », « il fallait finir sa thèse l’année d’avant », « il faut que ça finisse un jour », et ce malgré nos explications selon lesquelles la fin d’une thèse dépend de plusieurs facteurs hors du contrôle des doctorants…
Je constate que les porte-paroles patronaux n’ont pas compris ce que signifie « réaliser une thèse de doctorat », qu’ils n’ont pas saisi l’essence de la fonction professorale et encore moins les défis du développement d’une université en région, déployée sur deux sites distants, 4 campus, dans un contexte de pénurie de ressources humaines, etc. Misère…
Après l’élément 21, ce fut au tour de… l’élément 22. « Qu’en est-il des éléments 1 à 20 ? », ai-je demandé. Les réponses ont été variées (« statu quo », « ce n’est pas dans l’intérêt de la direction », « on n’a pas de mandat »), mais elles se résument à un mot : c’est NON !
Le « retour global » s’inscrivait donc dans une démarche de négociation classique, dans un rapport patronal-syndical totalement étranger au contexte universitaire : « je donne seulement si tu donnes », tout se calcule en gains pour l’une ou l’autre des deux parties, sans égard aux impacts des demandes syndicales pour l’intérêt supérieur de l’institution.
La séance s’est poursuivie par des retours « spécifiques », sur les éléments 22 à 56 […]. Le « retour global » manquait de vision globale.
La séance a toutefois été l’occasion, pour l’équipe syndicale, de faire une mise au point pour la suite des choses :
- les professeures et professeurs constituent un groupe spécifique : elles et ils portent la mission de l’Université, participent activement à la définition de ses orientations et à sa gestion quotidienne. Elles et ils fonctionnent de manière collégiale, disposent de libertés (académique et politique notamment) et s’autogèrent selon un mode de gestion (cogestion) dans lequel le droit de gérance est démembré ;
- les professeures et professeurs sont au cœur de la mission universitaire ;
- le développement de l’Université est tributaire de celui du corps professoral.
Je retournerai à la table le 23 juin 2016 (les 4, 6, 11 et 13 juillet aussi…) avec l’espoir de faire avancer la négociation dans un climat qui, je l’espère, sera respectueux et productif. Je suis toutefois inquiète, très inquiète…
Le contexte général de la négociation
Au moment d’écrire ces lignes, je conclus que le déroulement de la séance du 1er juin 2016, la déstructuration du décanat de la gestion académique, les attaques répétées à la liberté académique, la charge contre la représentation des professeures et professeurs dans les instances et comités, le recul de la collégialité, l’affaiblissement de la bicaméralité et les compressions budgétaires participent d’un seul et même projet : celui de nier la spécificité des professeures et professeurs et de les condamner à évoluer dans une « corporation » mue par des intérêts marchands, guidée par les principes de bonne gouvernance et les best practices [sic] des entreprises privées, et des critères de décision comptables et simplistes (une activité, un programme, une initiative, c’est ou bien « payant » ou bien « pas payant »).
Nous ne sommes pas les seuls à faire face à la dérive gestionnaire. Je l’ai signalé dans mon message précédent : chaque semaine, au Canada et aux États-Unis, nous sommes témoins que des professeures et professeurs d’université sont suspendus, congédiés, disciplinés, etc. Sous la gérance de directions d’universités issues de la filière administrative (par opposition à la filière académique), les professeures et professeurs deviennent petit à petit des employés comme les autres.
En cette période trouble, notre appartenance à la Fédération des professionnèles de la CSN (FP-CSN), au Comité de liaison des universités du Québec (CLIUQ), à la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) et nos relations avec l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU) et l’Internationale de l’éducation (IE) dépassent largement la défense des conditions de travail. Un chantier politique s’est ouvert, celui de la défense d’une Université publique, démocratique et accessible. L’institution est menacée et sa survie dépend de notre force de résistance.
La vigilance et la mobilisation des professeures et professeurs sont, plus que jamais, requises.
Louise Briand, présidente