Un tribunal sanctionne l’UQO pour avoir manqué à ses devoirs de protection des droits des professeures et professeurs durant le « Printemps érable »

Gatineau, 7 janvier 2016 – Le Syndicat des professeures et professeurs de l’UQO (SPUQO) souhaite commenter la décision rendue le 4 décembre 2015 par un tribunal à la suite de démarches judiciaires qu’il a entreprises relativement aux événements survenus à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) durant le « Printemps érable ». « Nous sommes très satisfaits que le tribunal reconnaisse que la direction de l’UQO a manqué à ses devoirs de protéger la santé, la sécurité, la dignité et la réputation des professeurs et professeures dans l’exécution de la demande d’assistance de la police », déclare Louise Briand, présidente du SPUQO.

Rappelons qu’à la suite de la grève étudiante ayant commencé en février 2012 à l’UQO et s’étant amplifiée à la fin mars, la Cour supérieure avait émis, le 13 avril 2012, une injonction ordonnant à l’UQO d’offrir tous les cours. L’UQO avait alors choisi de faire appel massivement aux services d’une compagnie privée de gardiens de sécurité ainsi qu’au service de police de la Ville de Gatineau (SPVG) pour faire respecter l’injonction. La communauté universitaire a vécu au rythme d’une occupation policière, dans un environnement imprévisible et menaçant. Ce sont ces événements qui constituent la toile de fond des quatre griefs déposés par le SPUQO devant un tribunal spécialisé en relations du travail pour violations des droits consentis par les chartes et les diverses dispositions de la convention collective des professeurs et professeures.

Demande d’assistance policière sans protection des droits

Le tribunal d’arbitrage, présidé par Me Francine Lamy, fait des reproches sévères à l’UQO : « L’UQO a manqué à ses devoirs en ne prenant pas les mesures appropriées à la protection de la santé, la sécurité et la dignité des professeurs dans l’exécution de la demande d’assistance de la police » (paragraphe 344). Elle déplore l’absence de « mise en place de mesures pour pallier les conséquences prévisibles de cette présence policière sur la santé, la sécurité, la dignité des professeurs » (paragraphe 346).

L’arbitre Lamy affirme même être troublée par l’attitude de l’UQO : « Ce qui trouble dans cette preuve est l’inaction de l’UQO » (paragraphe 352). Elle déplore en effet que « La décision de recourir à la police a[it] été prise en Régie, pas en CA et l’UQO n’a[it] pas suivi ses propres politiques qui nécessitaient la consultation de comités ou représentants en santé et en sécurité au travail en situation de crise ou en cas d’urgence » (paragraphe 359).

Le tribunal est d’avis que l’UQO a failli en demandant à la police d’investir le campus et en ne prenant aucune mesure préventive pour protéger les droits des professeures et des professeurs : « (…) la preuve ne montre aucune communication préalable avec la police pour la renseigner sur les appréhensions de ses dirigeants à l’endroit des professeurs, sur les droits leur étant reconnus par leur convention collective, la légitimité de leur présence dans toutes les aires de l’établissement et de l’exercice, sur le campus, des libertés garanties par la convention collective » (paragraphe 360). Les manquements de l’UQO ont eu des conséquences importantes pour l’une des membres du corps professoral (stress, peur, angoisse, trouble, etc.) et le tribunal a donc ordonné de verser une indemnité de 1 000 $ à celle-ci pour compenser les préjudices causés par ses manquements de protéger ses droits à la santé, la sécurité et la dignité (voir paragraphe 411 en annexe).

Négligence et imprudence dans les interventions médiatiques

L’arrestation de l’un des professeurs de l’UQO, Monsieur Thibault Martin, survenue le matin du 17 avril 2012, a été qualifiée d’ « arbitraire » (paragraphe 470) par le tribunal qui constate aussi que « la police a fait usage d’une force excessive lors de son interception » (paragraphe 471).

Le tribunal déplore que le recteur Jean Vaillancourt ainsi que son équipe, aient, à toutes fins utiles, condamné le professeur Martin dans les médias alors qu’il était injustement arrêté, et ce sans même avoir pris le soin de s’enquérir des circonstances entourant son arrestation (voir paragraphes 476, 484 et 485 en annexe). Le tribunal juge que « Le recteur a ainsi fait preuve de négligence et d’imprudence, d’autant plus qu’il n’est pas sans connaître l’importance de la réputation pour un professeur d’université de renommée internationale dans son champ d’expertise » (paragraphe 477). Soulignons que le tribunal ne reconnait aucune circonstance atténuante pour le recteur ou pour l’UQO du fait que l’Université était sous la loupe des médias (voir paragraphes 480 à 482 en annexe).

Le tribunal a donc reconnu que les agissements de la direction de l’UQO ont porté atteinte à la réputation du professeur Martin et il a ordonné à l’UQO de lui verser une indemnité de 25 000 $ pour compenser les préjudices subis.

Nécessité de mesures concertées pour éviter de futures violations de droits

Comme le souligne le tribunal, la direction de l’UQO n’a pas consulté le Comité de santé, sécurité et prévention de l’Université avant de décider de recourir à la police pendant les événements de 2012. Le SPUQO, qui est représenté au sein de ce comité, peut aussi témoigner du fait qu’aucune réunion n’a été convoquée jusqu’à la fin de ces évènements ni même par la suite, afin de faire le bilan des mesures que l’UQO a prises ou qu’elle aurait dû prendre.

Le SPUQO propose à la direction de l’Université de constituer un comité paritaire, composé de personnes représentant la direction ainsi que les divers syndicats et associations étudiantes de l’UQO, afin de réfléchir et d’identifier des mesures pour prévenir les atteintes aux droits à la santé, sécurité et dignité de la communauté universitaire lorsque d’autres évènements du même type surviendront.

« Il reste énormément de travail à réaliser pour éviter que d’autres atteintes aux droits de notre communauté universitaire comme celles condamnées par le tribunal ne se reproduisent, affirme la première vice-présidente du SPUQO, Catherine Lanaris. Nous espérons que la direction de l’UQO donnera suite à notre proposition de créer un comité paritaire en vue de réfléchir et d’agir de façon concertée. Il s’agit d’une responsabilité importante à assumer à l’égard de la communauté de l’UQO. »

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Pour informations : Syndicat des professeures et professeurs de l’UQO (SPUQO), spuqo@uqo.ca

Annexe – Autres extraits de la décision du tribunal

La décision est disponible en ligne à l’adresse suivante : https://spuqo.com/wp-content/uploads/2015/12/2015-12-04-sentence-universitc3a9-du-quc3a9bec-en-outaouais1.pdf

Demande d’assistance policière sans protection des droits

  • « [I]mposer aux professeurs de travailler dans un environnement contrôlé par la police pendant plusieurs jours est procéder à un changement radical de leur environnement de travail. Les circonstances étaient exceptionnelles, je l’ai reconnu, mais une telle décision de l’employeur exige à mon avis la mise en place de mesures pour pallier les conséquences prévisibles de cette présence policière sur la santé, la sécurité, la dignité des professeurs. Il doit aussi prendre les moyens nécessaires pour exercer ses prérogatives et exécuter les engagements souscrits à la convention collective. » (paragraphe 346)
  • « l’UQO n’a pris aucune [mesures préventives] alors qu’elle demandait à la police d’investir le campus et anticipait que la présence policière impliquerait des interventions massives avec des graves conséquences pour les professeurs. » (paragraphe 366)
  • « En exposant la professeure Demers à la menace sérieuse d’une sanction par la police pour l’exercice de ses droits garantis par la convention collective, sans mesures préventives ni directives, l’employeur a porté atteinte à sa dignité comme professeure, à l’exercice de ses libertés garanties par la convention collective et compromis ses droits à la santé et à la sécurité au travail. Les omissions de l’UQO ont entretenu les craintes et les incertitudes raisonnables de madame Demers. La santé, la sécurité et la dignité sont des droits garantis par des normes d’ordre public ou sont des droits fondamentaux et les compromettre cause des préjudices importants. La preuve révèle que les manquements de l’employeur ont causé à la plaignante du stress, de la peur, de l’angoisse, du trouble et des inconvénients. J’évalue le préjudice moral de la professeure Demers à 2 000,00 $, auquel la police a aussi contribué pour moitié. J’accueille donc partiellement son grief et ordonne à l’employeur de lui verser une indemnité de 1 000,00 $. » (paragraphe 411)

Négligence et imprudence dans les interventions médiatiques

  • « Au moment de tenir la conférence de presse le recteur ne sait rien de la conduite de monsieur Martin et des circonstances de son arrestation. Au mieux, il a néanmoins décidé de la commenter, tout en approuvant sans réserve l’intervention de la police, avec l’inévitable association entre les deux aux yeux des journalistes et du public et l’attrait médiatique accru qui en découlerait de manière prévisible. […] L’effet de l’ensemble est que le recteur prononçait d’avance le caractère justifié de l’arrestation de monsieur Martin et la culpabilité de son employé pour avoir commis l’acte criminel en contrevenant à l’injonction. » (paragraphe 476)
  • «Il [le recteur] affirme ne pas avoir réalisé l’effet négatif de ses commentaires à l’époque et que cela ne lui a pas été signalé par son personnel. Cela n’exonère cependant pas le recteur, encore moins l’UQO. Je conviens que les dirigeants de l’UQO étaient exposés à des conditions très difficiles à ce moment et qu’ils étaient constamment sollicités. Cependant, l’intensité de l’activité médiatique à laquelle ils ont fait face découle directement de leur choix d’être proactifs auprès des médias, de tenir des conférences de presse quotidiennement et d’offrir de nombreuses entrevues pour soigner la réputation de l’institution. Il leur incombait de prendre les dispositions nécessaires pour s’assurer que les déclarations faites dans ce contexte ne causent pas de préjudice à autrui et au recteur, de donner les directives appropriées à ses collaborateurs pour faire le suivi adéquat de l’activité médiatique ainsi engagée et de ses possibles conséquences sur la réputation des personnes visées par ses commentaires. Les incuries des collaborateurs n’exonèrent pas l’UQO, car elle est responsable des fautes commises par ses préposés. » (paragraphes 480, 481 et 482)
  • « En outre, dans ce même journal, la version rapportée de la police est fausse, car elle justifiait cette arrestation par le fait que le professeur Martin se serait interposé après avoir eu un premier avertissement de l’UQO, ce que monsieur Maurice n’a pas rapporté [le] recteur non plus. Toujours dans ce même article et ailleurs dans les médias, des professeurs ont indiqué que monsieur Martin aurait été arrêté injustement, alors qu’il se rendait à son bureau pour offrir sa prestation de travail. » (paragraphe  484)
  • « Malgré tous ces indices probants de circonstances bien différentes de celles d’un professeur défiant qu’il était nécessaire d’arrêter pour assurer l’exécution de l’injonction, le recteur n’a rien vérifié, rien rectifié, ni même pris quelque distance par rapport à l’action de la police à ce sujet la veille, suivant le conseil mal avisé de laisser le professeur Martin à son sort [accusations de nature criminelle]. Et dix jours plus tard, le recteur se prêtait à une grande entrevue journalistique où il approuvait de nouveau le travail de la police, sans nuance ni réserve » (paragraphe 485)